21/05/2012
" Et si la France avait continué la guerre – 1941-1942 " : tome 2 du livre de Jacques Sapir, Frank Stora et Loïc Mahé
Une "uchronie" historiquement et techniquement impressionnante, moralement fascinante :
A la parution du tome 1 (1940), nous écrivions ici 1:
<< Cet ouvrage d'hypothèses est « un exercice de travaux pratiques ». D'où son intérêt. Avec une méthode rigoureuse et une information aussi ample que précise (et technique), ce livre montre que l'armistice de juin 1940 n'était pas inéluctable. Si le gouvernement Reynaud avait tenu bon, la conquête du territoire français aurait demandé aux Allemands cinq semaines de plus. Le temps de transborder en Afrique du Nord le gouvernement avec 500 000 hommes et 350 000 tonnes de matériel : la garantie de tenir jusqu'à l'arrivée des productions de l'arsenal américain. « Tenir » : c'est-à-dire passer à l'offensive contre les forces italiennes en Libye et en Méditerranée, tandis que la Luftwaffe était prise par la bataille d'Angleterre...
À partir de là, l'ouvrage bâtit un étonnant kriegspiel où l'on constate, chiffres et données en main, que les Franco-Britanniques avaient (notamment sur le plan naval) de quoi chasser les Italiens d'Afrique du Nord en quelques mois, et s'emparer de plusieurs îles, dont la Sardaigne elle-même, mal défendue, qui pouvait devenir avec la Corse une base de bombardements à long rayon d'action pour l'Armée de l'air et la RAF ! La face de la guerre était changée. L'avenir aussi. Surtout pour la nation française, qui sauvait son âme en s'épargnant Vichy. Laurent Henniger2 écrit dans sa préface : « C'est donc avec mélancolie qu'on lit cet ouvrage, mais aussi avec une passion fébrile, tant il est vrai que ce récit haletant est écrit de telle façon que le lecteur ne pourra le refermer avant d'en avoir achevé la dernière page. »« Une description à vous mettre les larmes aux yeux de la Seconde Guerre mondiale telle qu'elle aurait dû être », dit un lecteur américain.
Pour proposer une réponse, les chercheurs ont évalué « l'enveloppe des moyens » techniques (niveaux de production, capacités logistiques, « quels matériels étaient disponibles, à quelles dates, à quel coût en matières de temps de travail et de ressources ») afin de déterminer une « enveloppe des possibles » ; ils ont évalué aussi les systèmes de prise de décision de chaque pays... Procédure de simulation réaliste (« constamment rapportée à des opérations similaires ayant eu lieu à des périodes identiques de la guerre dans la trame historique »), ce kriegspiel a été construit depuis 2004 par le directeur d'études à l'EHESS Jacques Sapir, le spécialiste des jeux de simulation Frank Stora et l'ingénieur informaticien Loïc Mahé, avec un réseau d'experts, de chercheurs et d'enseignants en stratégie français, américains, britanniques, italiens, allemands, russes et japonais. Le livre est structuré comme une chronologie au jour le jour. L'« effet de réel » est impressionnant... >>
Le tome 2 poursuit cet « exercice de travaux pratiques » en l'élargissant, sur la base des hypothèses validées dans le tome 1. Chassant les Italiens d'Afrique et envahissant l'Albanie avec l'armée grecque, la France et la Grande-Bretagne forcent le Reich à une bataille vaste, longue et coûteuse pour le contrôle de la Méditerranée : ce qui retarde d'un an l'attaque allemande contre l'URSS, laissant au Kremlin le temps de réorganiser son armée. On devine la suite : Barbarossa ne se déroulera pas comme dans l'histoire réelle. De même, les forces françaises d'Indochine résistent aux Japonais : ce qui sauve Singapour et fait commencer la guerre du Pacifique dans d'autres conditions que celles de l'histoire réelle... Etc.
Etayée par une montagne de données et d'éléments techniques et chronologiques, vérifiés au millimètre, cette fiction très réaliste donne des ailes au rêve. Ainsi l'impressionnant récit de la bataille de Corse, en février-mars 1941, quand Kesselring lance des troupes d'élite de l'Axe (parachutistes de Student, Alpenjäger Korps, Italiens des Alpini et de la division Folgore, etc) pour déloger de Corse la 81e DI d'Afrique (Montagne, Arlabosse et Montsabert), rejointe par la 13e DBLE de Koenig, les alpins de Lhuillier et les quelques petits chars américains M2 de Hautecloque dit Leclerc... Ce seront les batailles de Bastia, Solenzara, Calvi, Corte, Vizzavona, Porto-Vecchio, Sartène, et celle du col de Muratano, photographiées par Robert Capa, racontées dans les journaux américains par John Steinbeck...3
Dans le même registre de réalisme fantastique : Indochine, janvier 1942, la résistance politico-militaire française face au Japon obligé de déclarer la guerre à la République française qui a repoussé son ultimatum... L'armée japonaise attaque par la Thaïlande au sud et le Tonkin au nord ; après une série de combats à un contre cent, comme celui du groupe blindé mobile Schlesser4 dans la région de Siem Reap au Cambodge, le haut-commissaire Jean Sainteny (soutenu par le prince Sihanouk et la communauté chinoise) arme la population asiatique de Saïgon5 – y compris les communistes vietnamiens de Nguyên Aï Quoc, le futur Hô Chi-Minh, qui se battront contre les Japonais. Au nord, Sainteny fait activer le plan d'urgence Epervier :
« Ce plan prévoit la retraite des forces françaises et locales de la région d'Hanoi vers une base située dans les montagnes à la frontière entre Tonkin et Laos, non loin de la Chine, par où elle pourra être ravitaillée. Dans une vallée au coeur du dispositif, le Génie vient d'achever, avec de la main d'oeuvre locale, la construction d'un petit terrain d'aviation où le Train achemine vaille que vaille de l'essence et des munitions pour les avions américains de l'AVG [les 'Tigres volants' de Chennault]. La base en question, située sur le fleuve Nam Youm, porte en langue thaïe le nom de Muon Threng, qui signifie simplement 'Grand poste sur la frontière' – puisque c'était naguère la fonction du lieu. Mais les Français préfèrent utiliser le nom vietnamien (qui est simplement la traduction du nom thaï): Diên Biên Phu.
...Le 25 mars, de la base Epervier à Diên Biên Phu, décolle une formation alliée tri-nationale : 33 bombardiers français et chinois, escortés par 48 chasseurs américains, français et chinois. Cette puissante formation attaque les terrains japonais autour d'Hoa Binh et d'Hanoi : 26 avions sont détruits au sol et 10 en combat aérien en échange de 2 chasseurs français, 1 américain et 21 chinois. Ce raid est un coup sévère porté à la puissance aérienne japonaise dans le nord de l'Indochine... »
Ou bien la terrible bataille de Limnos en Méditerranée, février-avril 1942... Conquise en février sur les Italiens par une opération franco-grecque (pendant que les Alliés débarquaient aussi dans le Péloponnèse), l'île est attaquée en mars par la Luftwaffe, puis par une série de vagues d'assaut parachutistes et de débarquements d'infanterie :
« les Alliés comprennent qu'en s'accrochant le plus longtemps possible à Limnos (dont au départ l'occupation était surtout une diversion), ils peuvent infliger des pertes très élevées à des troupes d'élite ennemies, à l'aviation de transport allemande et à la Regia Aeronautica, au prix de pertes relativement limitées... »
S'ensuivent plusieurs semaines de combats, terrestres, aériens et navals, avant que Koenig et Amilakvari, aidés par les troupes grecques et les difficultés du terrain, ne viennent à bout des Allemands privés de ravitaillement. Le 5 avril à 15 h 30, le major-général Bräuer capitule. Une heure plus tard, à Rhodes, le général Giraud annonce aux correspondants de guerre : « Messieurs, je vous avais dit que l'ennemi n'aurait pas Limnos. Il a tout fait pour s'en emparer, mais il ne l'a pas eue. En prime, nous avons infligé à ses unités d'élite, aéroportées, aériennes et navales, des pertes qui ne seront pas comblées de sitôt... »
Ce livre enchantera les amateurs de jeux de guerre, de matériels d'époque et de rêves argumentés. Mais plus profondément, il met le doigt sur une vieille douleur de l'âme : sans la reddition précipitée de 1940 et l'effondrement de ses élites, la France pouvait jouer un rôle qui eût donné un autre cours au XXe siècle. Merci à Jacques Sapir et à son équipe de nous montrer, tome après tome, pourquoi cette blessure fait encore mal quand on y pense.
Et si la France avait continué la guerre, 1941-1942, Tallandier, 714 p.
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1.http://plunkett.hautetfort.com/archive/2010/06/02/1940-et-si-la-france-avait-continue-la-guerre-%C2%A0-un-livre-i.html
2. Institut d'études stratégiques de l'Ecole militaire.
3. Pendant ce temps, Berlin envoie Rommel en Albanie face aux Anglo-Grecs.
4. Equipé d'une vingtaine de SAV-41, char et chasseur de chars conçus (réellement) par les ateliers français... et construits aux Etats-Unis selon la fiction. Cf l'illustration en haut de cette page.
5. Quatre mois plus tôt, à Saigon, de Gaulle (quoique simple ministre de la Guerre du gouvernement d'Alger) a promis « l'autonomie politique pleine et entière aux peuples de l'Indochine ». Les gros exploitants d'hévéas français ont manifesté leur hostilité envers cette idée. De Gaulle leur a répliqué durement : «Sachez-le bien, messieurs qui croyez protéger vos petits intérêts en tenant vos petits discours dans votre petit coin : très bientôt, entre la Nation et la piastre, il vous faudra choisir ! ». Toujours selon le livre, bien sûr... Dans la réalité, de Gaulle et Sainteny n'ont eu aucune prise sur une Indochine dirigée par l'amiral pétainiste Decoux, qui collabora avec les Japonais.
08:32 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : histoire, seconde guerre mondiale, de gaulle
Commentaires
LES IMPONDERABLES
> Certainement très intéressant et semble talentueux, mais le genre appelle une réserve de taille:
L'auteur d'une uchronie (le terme n'est-il pas de Volkoff à propos de son Alexandra?) pense et écrit selon une rationalité dont il n'est pas question de mettre en doute la valeur d’autant qu’ici, c’est une équipe disposant de puissants moyens.
Mais l'histoire, politique, diplomatique ou guerrière se fait non seulement avec de la raison mais de l'audace, de la volonté, de la persévérance. Ou bien leur absence. Et aussi avec le beau ou mauvais temps, les épidémies, les retournements d'alliés bref, la «friction» de Clausewitz. Cela est-il programmable dans un Kriegspiel ?
Certes, on peut rêver sur des batailles que le modèle prévoit infailliblement de gagner avec brio. C'est plus savant qu'un jeu video, aussi ludique, certainement encore plus didactique mais il est permis de craindre que ce ne soit aussi vain.
Et, face à cette douleur de 1940, cette blessure réelle certes, ne faut-il pas avoir une attitude analogue à celle que vous préconisez à l’égard du délire ecclésial des années soixante-dix et de ses douleurs aussi réelles: suivre sa route sans regarder en arrière pour éviter de se cogner aux réverbères.
PH
[ De PP à PH :
1- Justement oui, le paramètre psychologique fait partie du jeu. C'est déjà très net dans le tome 1 puisque c'est l'hypothèse de départ : au lieu de s'effondrer, les dirigeants français suivent l'avis de De Gaulle et organisent le "Grand Déménagement" vers Alger.
2 - On trouve encore en mai 2012 (dans des journaux archi-catholiques) des nostalgies favorables au "gouvernement du Maréchal". Rien que pour cautériser ça, le travail de l'équipe Sapir est une thérapie salutaire.
3 - On nous a beaucoup parlé des fautes françaises du passé, dans l'intention de nous persuader que la dilution dans l'atlantisme était la seule issue (en fait il s'agissait de faire l'apologie de la vassalité). Un travail comme celui de l'équipe Sapir, tout en confirmant que la faute de 1940 fut un crime, montre qu'en se l'évitant la France se serait créé un avenir sans vassalisation. Où il y a une volonté, il y a un chemin : ce principe vaut encore aujourd'hui malgré l'immensité du terrain perdu ; ce n'est pas vous qui direz le contraire ! ]
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Écrit par : Pierre Huet / | 20/05/2012
ET DE GAULLE ?
> Je n'ai pas (encore) lu le tome 1 mais une question se pose: dans cette uchronie que devient la "geste" gaullienne ?
G.
[ De PP à G. - De Gaulle est le ministre de la Guerre du gouvernement légitime installé à Alger. On attend la suite, au tome 3... ]
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Écrit par : grzyb / | 21/05/2012
OBJECTIONS
> Avec toute l'immense sympathie que j'ai pour Jacques Sapir (et pas mal d'autres qui collaborent à ce projet), il y a beaucoup à dire sur les reconstructions a posteriori, ne serait-ce que parce que cela permet de définir une sorte de téléologie, de direction générale des événements, qui n'existent jamais dans la réalité. A coup sûr, ce type d'exercice ouvre d'intéressantes pistes de réflexions, mais cela ne prouve jamais rien. Mais si entrer dans ce débat me vaut de me faire traiter de vassal américain ou de nostalgique du pétainisme, je vais éviter. D'abord parce que mon arrière-grand-père était dans la 1re Armée française et a franchi le Rhin sous les rafales allemandes, ensuite parce que je milite vigoureusement contre l'atlantisme et pour la dissolution de l'OTAN et que l'indépendance de chaque nation du monde (y compris la mienne) est le premier de mes soucis en politique internationale, enfin parce que c'est à des années-lumière de ce que j'essaie de dire et qu'on ne peut pas se défendre contre une accusation de ce genre.
Une remarque simplement : il n'y a pas de capitulation en 1940, mais un armistice. Cela fait non seulement une énorme différence juridique et symbolique, mais si la France avait capitulé (donc déposé les armes sans condition), le sud de la France, l'Afrique du Nord, la flotte, tout serait tombé entre les mains allemandes dès 1940. Or cela aussi aurait pu changer l'issue de la guerre, mais pas dans le même sens.
PL
[ De PP à PL :
- Pourquoi vous défendre d'une imputation aussi improbable ? Il faudrait une dose de perversité pour être nostalgique du pétainisme quand on a eu un arrière-grand-père dans la France combattante ! Surtout au vu des travaux d'historiens qui ne cessent de mettre au jour la réalité du régime de Vichy.
- Le travail de l'équipe Sapir n'est précisément pas régi par une téléologie. C'est même l'inverse : en déplaçant les données concrètes de départ, il étudie ce qui aurait pu se passer en fonction
de cette nouvelle donne. C'est du travail de modélisation où l'ordinateur joue un rôle ; tous les scientifiques connaissent et admettent (comme nécessaire et "réaliste") cet outil d'analyse.
Sans lui il n'y aurait plus de recherche possible.
- Je vous suggère de lire les deux tomes de Sapir. Spécialement le premier, qui autopsie techniquement et concrètement (et, à mon sens, réfute) l'argument classique en faveur de l'armistice : "le sud de la France, l'Afrique du Nord, la flotte, tout serait tombé entre les mains allemandes dès 1940", etc... Le sud de la France, oui. La flotte et l'AFN, non, et c'est ça qui change tout.
- Vraiment, lisez les deux tomes. ]
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Écrit par : Philippe Lemaître / | 21/05/2012
LOIN
> De Gaulle simple ministre d'un gouvernement légal en 1940 ne devient donc plus le "sauveur" de la France, cela change beaucoup de choses: qui saura après la guerre constituer un gouvernement d'union nationale, incluant les communistes, et appliquer le programme du CNR? Qui saura quelques années plus tard comprendre que l'Algérie ne pouvait rester française et le faire admettre à une majorité du peuple français? Qui nous fera quitter l'OTAN, prononcera le discours de Phnom Penh, criera "Vive le Québec libre"? Ce genre de fiction nous mène loin et comme le disent PL et PH, l'Histoire ne se programme pas sur ordinateur.
G.
[ De PP à G. - D'une part, attendons le tome 3. D'autre part, pourquoi se crisper contre toute hypothèse ? c'est un travers très français. ]
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Écrit par : grzyb / | 21/05/2012
GEOPOLITIQUE
> C'est sur le plan géopolitique que la thèse de ce livre apporte beaucoup. Une République française maintenue et combattante, outre le cours différent qu'elle aurait donné aux opérations militaires, aurait abordé l'après-guerre avec des atouts sans commune mesure avec l'histoire réelle des années 1945-1950. La décolonisation, par exemple, se serait présentée autrement.
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Écrit par : armand jean / | 21/05/2012
EN L'ABSENCE DE VICHY
> Sans compter le plan moral : en l'absence de Vichy, il n'y aurait pas eu de collaboration d'Etat. L'épuration de 1945 n'aurait frappé que les auxiliaires parisiens de l'occupant. Le traumatisme franco-français n'aurait pas eu lieu. Et nous ne le traînerions pas encore aujourd'hui.
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Écrit par : rené tallard / | 21/05/2012
@ PL
> J'aime votre réaction: la chute de juin 40 et la suite remontent à 70 ans, elles ne doivent en aucun prétexte servir à justifier ou simplement excuser une quelconque vassalisation actuelle.
Sur les conditions d'abandon du pouvoir au trop vieux Maréchal, il me semble que le seul parti a avoir eu les mains propres était de façon comique celui exclu pour cause de pacte germano-soviétique: le PC.
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Écrit par : Pierre Huet / | 21/05/2012
RIEN
> "Ca remonte à 70 ans" donc ça n'a aucune importance ? l'histoire n'a aucune importance ? étudier ce qui s'est passé non plus ? chercher à voir si ça n'aurait pas pu se passer autrement, encore moins ? Rien n'a d'intérêt alors? réfléchir c'est suspect ? poète, vos papiers ?
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Écrit par : indignada / | 21/05/2012
SI JE M'EXCUSE
> aux grinchus : pardonnez moi si je m'excuse, mais moi je trouve cette idée de kriegspiel tricolore plutôt excitante.
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Écrit par : latulipe / | 21/05/2012
@ indignada
> Chère amie, je me suis mal fait comprendre, il n'est pas question de dire que cela n'a pas d'importance, mais la vassalisation acceptée sous le coup d'un désastre militaire en 1940 doit-elle nous contraindre à en accepter une de plein gré de nos jours? L'impréparation à la guerre puis la capitulation d'une classe politique (voir sur Wikipedia la liste des votants des pleins pouvoirs au maréchal puisqu'il n'est pas dans les règles de ce blog de donner des noms) il y a 70 ans doivent-elles nous empêcher de travailler aux libertés de nos enfants et petits enfants dont certains verront probablement la fin du XXIème S ?
La vassalité actuelle s'exerce à l'égard de l'Etat capitaliste et antiécologique par excellence, l'Amérique. Raser les murs me paraît donc particulièrement déplacé sur ce blog.
N'oublions pas que la culpabilisation est un moyen de pouvoir.
Et j'avoue en avoir marre.
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Écrit par : Pierre Huet | 22/05/2012
RIEN N'EST FATAL
> Quoi qu'on puisse penser de la pertinence de telles hypothèses dans l'absolu - parce qu'en effet, à la guerre, il y a des impondérables - ce genre de réflexion a un mérite, celui de montrer que lorsqu'on nous dit dans la vie politique (au sens du service multiforme du bien commun) qu'il y a des fatalités auxquelles il faut se soumettre, il ne faut jamais le croire. Ce qui relève du rêve ici s'appuie sur des données profondément rationnelles qui sont peu ou prou celles que de Gaulle avait en tête le 18 juin 1940 quand il évoquait les forces qui n'étaient pas encore entrées dans la bataille.
Avant d'être un pusillanime, Pétain est d'abord un incompétent qui a sous-estimé les forces en présence. Avant d'être un visionnaire, de Gaulle est un technicien de la guerre qui a su voir que rien n'était joué.
Mais peut-être est-ce l'inverse, il faut une certaine force morale pour regarder le réel tel qu'il est sans se laisser aveugler par les passions, les intérêts...
Reste que a force morale de la volonté s'adosse à une juste perception du réel. C'est la clef de toute victoire.
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Écrit par : Hubert Houliez / | 22/05/2012
REALISME ?
> J'ai lu le premier tome, passionnant. Une grosse limite cependant, le réalisme politique. L'effondrement de 1940 est l'échec du commandement militaire français et de la classe politique: conservatisme en matière de tactique, divisions....La débâcle a sonné l'armée française, réputée être la meilleure du monde au début de la guerre. C'est ce choc qui a mis K.O. l'esprit de combativité de la nation. L'esprit munichois reste très fort et je doute que la classe politique de l'époque eu été assez "chaude" pour une guerre menée depuis l'outre mer.
Par contre ce qui est sûr, c'est que le cours de l'Histoire aurait pu être inversé à plusieurs reprises mais en métropole entre 1939 et 1940. Par exemple, dès septembre 1939, les Français lancent des escarmouches en Sarre et ne rencontrent aucune résistance. Une offensive de grande ampleur aurait permis de démarrer l'invasion de l'ouest du Reich (la quasi totalité des divisions allemandes sont concentrées en Pologne). Les généraux allemands sont suffisamment sceptiques sur l'aventurisme et la stratégie militaire d'Hitler pour le renverser et négocier une paix avec les Alliés. De même, l'invasion du Bénélux et des Ardennes lancée par les Allemands en 1940 est un formidable coup de poker, l'état-major allemand en est conscient. L'industrie de guerre allemande produit moins d’équipements que l'industrie française jusqu'en juin 1940. La bataille de France était loin d'être perdue.
Tout ça pour dire que je pense qu'il aurait été plus intéressant d'étudier des scénarios plus probables et de se focaliser sur un théâtre d'opération métropolitain.
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Écrit par : jeff1986 / | 25/05/2012
PAS DE JUSTES GUERRES ?
> Il faudra bien qu’un jour nous rouvrions le débat sur la « juste » guerre.
Une fin bonne suffit-elle à justifier l’usage de moyens intrinsèquement mauvais ?
Nos frères Mennonites ont répondu que non ; ils ont voulu être fidèles aux exigences du Royaume de paix initié par le Christ.
Dans "Veritatis Splendor", en s’attaquant aux théories proportionnalistes, Jean-Paul II a posé les jalons d’une critique radicale de la théorie de la juste guerre. J’en cite un passage particulièrement significatif :
" 80. Or, la raison atteste qu'il peut exister des objets de l'acte humain qui se présentent comme « ne pouvant être ordonnés » à Dieu, parce qu'ils sont en contradiction radicale avec le bien de la personne, créée à l'image de Dieu. Ce sont les actes qui, dans la tradition morale de l'Eglise, ont été appelés « intrinsèquement mauvais » (intrinsece malum) : ils le sont toujours et en eux-mêmes, c'est-à-dire en raison de leur objet même, indépendamment des intentions ultérieures de celui qui agit et des circonstances. De ce fait, sans aucunement nier l'influence que les circonstances, et surtout les intentions, exercent sur la moralité, l'Eglise enseigne « qu'il y a des actes qui, par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances, sont toujours gravement illicites, en raison de leur objet » 131. Dans le cadre du respect dû à la personne humaine, le Concile Vatican II lui-même donne un ample développement au sujet de ces actes : « Tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré ; tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement l'honneur du Créateur ».
Sur les actes intrinsèquement mauvais, et en référence aux pratiques contraceptives par lesquelles l'acte conjugal est rendu intentionnellement infécond, Paul VI enseigne : « En vérité, s'il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n'est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en résulte un bien (cf. Rm 3, 8), c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de la volonté ce qui est intrinsèquement un désordre et par conséquent une chose indigne de la personne humaine, même avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, familiaux ou sociaux ». "
Avec la récusation des thèses proportionnalistes, c'est la « juste guerre » elle-même qui perd son assise théorique. En effet, pour reprendre le titre de la section 79-83 de Veritatis Splendor, « il n'est pas licite de faire le mal en vue du bien ».
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 27/05/2012
@ Blaise Join-Lambert
> Oui, mais quand la guerre vous est imposée par une agression? Un seul peut déclencher une guerre, l'accord de tous est nécessaire pour la paix.
J'aime assez l'attitude de nos voisins suisse. Ils ne risquent guère de déclencher un conflit, vu leur taille, mais ils maintiennent un potentiel militaire élevé pour rendre une violation de leur neutralité très coûteuse pour l'adversaire. C'est une doctrine de dissuasion non nucléaire. Il en va de même de la Suède.
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Écrit par : Pierre Huet / | 27/05/2012
@ Pierre Huet
> Je ne suis pas obligé d’entrer dans la même logique que mon agresseur. Jésus n’a pas fait torturer et mettre à mort ses bourreaux.
Au contraire, l’Evangile nous enseigne ceci :
« Vous avez entendu qu’il a été dit : "Œil pour œil et dent pour dent." Eh bien ! moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant : au contraire, quelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ; veut-il te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui-même ton manteau ; te requiert-il pour une course d’un mille, fais-en deux avec lui. A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos. »(Matthieu 5 : 38-42)
D’ailleurs, comme l’avait déjà remarqué John Howard Yoder, « Ce qu’il m’arriverait de faire ne pourrait en aucun cas être normatif pour savoir ce qu’il m’aurait appartenu de faire, en tant que chrétien. » (« Que feriez-vous si ?... » dans Les Cahiers de Christ seul N°4/1992). Plutôt que de m’enfermer, par la seule invocation d’un avenir hypothétique, dans un imaginaire de la confrontation, je devrais m’interroger : qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que je fais pour la paix dans le monde ? la violence n’est pas si utile qu’on le dit. Y mettre ne serait-ce que le petit doigt peut avoir des conséquences désastreuses. Ainsi les Etats-Unis sont persuadés d’être le gendarme de la paix dans le monde ; j’ai un doute…
Il faut avoir aussi le courage de sortir d’une certaine mentalité de l’efficacité à tout prix. Et contempler la croix : aux yeux des juifs et des grecs les chrétiens passent pour des fous, qui adorent un crucifié. – Mais ce crucifié est ressuscité d’entre les morts. Plutôt que de compter sur nos propres forces pour infléchir le cours des événements, sachons nous en remettre à la miséricorde divine. De toute façon, La défaite est encore une occasion de suivre le Christ dans sa passion. Et le mal n’aura pas le dernier mot. C'est une vérité de foi.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 28/05/2012
@ Blaise Join Lambert
> Quand on est seul en cause, soit...
Mais comment comprenez-vous, pour prendre un exemple extrême, la mission de Jeanne d'Arc?
Et, pour revenir à la 2ème guerre mondiale, que pensez-vous de l'action des nombreux chrétiens qui ont agit par la violence contre l'entreprise national-socialiste (je n'aime pas l'abréviation journalistique "nazi" qui masque la nature de ce système). Par exemple l'attentat contre Hitler opéré par Stauffenberg ?
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Écrit par : Pierre Huet / | 28/05/2012
JEANNE
> Jeanne d'Arc n'a pas été canonisée pour ses faits d'armes, et elle réprouvait la mise à mort des vaincus après la bataille. Ce qui était pourtant une pratique courante. En fait, même les saints reconnus par l'Eglise n'ont pas échappé aux aveuglements de leur époque. Ainsi l'inquisition est aujourd'hui unanimement rejetée. Et pourtant nous avons des saints inquisiteurs.
Stauffenberg est une figure controversée, donc je préfère ne pas m'engager sur ce terrain-là. Laissons aux historien le temps suffisant pour clarifier les choses à son sujet. Mes références sont ailleurs : je révère les membres de la Rose Blanche. En France, ceux qui militaient dans Témoignage Chrétien, ou qui cachaient des juifs (comme mon arrière-grand père). Ou ces chrétiens qui ont accepté de partager le sort des juifs et des tsiganes. Le saint de cette période auquel je suis le plus attaché, c'est Maximilien Kolbe - malgré son anti-judaïsme. Il n'a pas versé le sang mais il a témoigné de l'amour de Dieu au coeur de l'horreur nazie.
Evidemment, je suis responsable de mon prochain, sur un plan solidaire et sur un plan collectif, que ce prochain soit dans un rapport de solidarité ou d'appartenance à mon égard ou qu'il soit mon ennemi déclaré. Mais je n'oublie pas qu'en ordre d'importance, le second commandement est d'aimer son prochain comme soi-même (Mat. 22:39) Personne n'en est exclu, en situation de guerre comme en période de paix. Et je n'oublie pas non plus qu'être responsable de son prochain n'implique pas l'usage de moyens intrinsèquement mauvais. Etre responsable c'est d'abord suivre la voie inverse à celle de Caïn (Gn 4:3-9) Suis-je le gardien de mon frère? bien sûr! mais le gardien pacifique pour un Royaume pacifique où « le loup et l’agnelet paîtront ensemble, le lion comme le bœuf mangera de la paille, et le serpent se nourrira de poussière » (Is. 65 : 25)
BJP
[ De PP à BJP - Sur les champs de bataille du XVe siècle, on achevait la piétaille mais pas les chevaliers - qu'on capturait pour rançonner leurs familles. C'est à cette industrie entre nobles que servait la guerre, et c'est une des raisons (sur fond de crise économique) pour lesquelles la guerre de Cent ans a duré... cent ans. Laissons à d'autres la nostalgie de cette si chevaleresque chevalerie. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 28/05/2012
@ BJL
> Alors, de fait, il ne fallait pas continuer la guerre, il ne fallait même pas la commencer pour vainement secourir la Pologne.
Sur Jeanne d'Arc, je sais tout ce que vous dites, je crois d'ailleurs qu'elle même n'a pas personnellement porté de coup à un ennemi. Mais elle a pris des initiatives d'assaut, placé des pièces d'artillerie etc. Même si sa mission était de l'ordre de la légitimité "politique", faire sacrer le roi, elle passait par des actions militaires, donc violentes!
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Écrit par : Pierre Huet / | 28/05/2012
@ BJL
> réponse tardive sur Stauffenberg car je n'avait pas ma source sous la main.
-je ne sais s'il est controversé, mais il dommage que le complot ait échoué pour cause de changement de local de la réunion d'état-major. Mais peut-être l'Allemagne ne devait-elle pas échapper à sa terrible punition...
-sur l'opération Walkyrie: c'était l'aboutissement tardif de la conspiration Beck, un complot fort long à organiser et à mettre en branle qui commença dès 1939 et tenta d'établir des liens avec l'Angleterre qui resta en retrait par méfiance compréhensible. Un des intermédiaires de ces contacts fut Pie XII en personne.
lire "les espions du Vatican" de l'Américain David Alvarez.
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Écrit par : Pierre Huet / | 01/06/2012
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